Renouons avec les endeuillés

16 septembre 2022 | Général

Jacques Cherblanc est professeur d’anthroposociologie et d’éthique à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Geneviève Gauthier est auxiliaire de recherche à l’UQAC. Susan Cadell est professeure de travail social à l’Université de Waterloo.


Alors que les différentes régions du Québec sont maintenant passées en zone verte, plusieurs voient dans cette liberté retrouvée l’occasion de se rassembler de nouveau et de tenter de rattraper le temps perdu. Et pour cause ! La dernière année a été marquée par les changements, les incertitudes, l’adaptation et la résilience pour arriver à naviguer parmi les eaux imprévisibles de cette pandémie.


Cela est d’autant plus vrai pour les personnes qui ont vécu le décès d’un proche durant cette période. L’isolement social, l’impossibilité de tenir des pratiques rituelles comme les funérailles et le fait de ne pas pouvoir accompagner la personne en fin de vie sont des éléments qui ont pu potentiellement entraver le cheminement du deuil.


À titre de chercheurs en travail social, sociologie et anthropologie à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et à l’Université de Waterloo, nous cumulons plusieurs décennies de recherches sur les rites et le deuil. Et nous avons rapidement compris que les circonstances particulières liées à la pandémie ont pu être particulièrement éprouvantes pour les personnes ayant subi la disparition d’un proche au cours de la dernière année.

Afin de documenter le vécu de ces personnes, nous avons élaboré le projet Covideuil avec des collègues de l’UQAC et de l’Université du Québec en Outaouais. Notre projet utilise notamment un sondage en ligne qui a été diffusé de mars à mai 2021 auprès des francophones canadiens endeuillés depuis mars 2020.

Un écart entre les rites souhaités et ceux réalisés

Au total, 955 personnes ont participé à ce sondage. Ces répondants provenaient surtout du Québec, étaient majoritairement des femmes (87 %), en couple (84 %) et avaient vécu le décès d’une (89 %) ou de plusieurs (11 %) personnes au cours de la pandémie.


Les résultats nous indiquent que la grande majorité (77 %) des répondants n’ont pas pu accompagner leur proche comme souhaité, par exemple en étant présent à ses côtés ou en le visitant alors qu’il était en fin de vie. Au moment le plus critique de la crise sanitaire, alors qu’un maximum de 25 personnes étaient admises dans des célébrations funéraires en zones rouges, l’émergence des cérémonies virtuelles et d’autres rituels adaptés à l’urgence de la situation a modifié l’expérience du deuil.

Dans de telles circonstances, la plupart des répondants n’ont pas pu réaliser les rites souhaités et plus particulièrement les rites collectifs. En effet, un écart important de 65 % est observable entre le souhait de pouvoir se réunir entre proches et d’avoir pu le faire. Même constat concernant le souhait de réunir plus que les proches où on observe un écart de 76 % entre ce qui était désiré et ce qui a été réalisé.

La création de rites

Face à cette impossibilité de réaliser les cérémonies habituelles et souhaitées, environ un tiers des répondants ont élaboré de nouveaux rites. Parmi ceux-ci, on retrouve des cérémonies intimes à la maison (par exemple, allumer une bougie), la création d’un espace de commémoration du défunt où était placée la photo de la personne ou encore des objets qui évoquent leur souvenir, des cérémonies collectives à l’aide d’outils et de plateformes numériques ou des réunions entre proches à l’extérieur.

La créativité et les innovations qui ont émergé dans ce contexte difficile méritent d’être soulignées et constituent une façon d’adapter les rituels aux restrictions sanitaires.

Des complications du deuil ?

Selon les caractéristiques reconnues des complications du deuil, on observe qu’environ 15 % des répondants présentent un diagnostic provisoire de trouble du deuil complexe et persistant.

C’est plus que ce que l’on retrouve parmi les endeuillés en temps « normal » (5-10 %), et cette prévalence s’apparente à ce que l’on retrouve en contexte de catastrophe ou de mort traumatique (10-20 %). Ces données, bien qu’elles puissent être préoccupantes, ne sont pas pour autant statiques ou figées ainsi pour toujours.


À ce titre, notre étude continuera de suivre cette évolution au cours des deux prochaines années.

Comment aider une personne endeuillée ?

Les recherches nous indiquent que les facteurs de protection les plus importants contre les complications du deuil sont la capacité d’avoir du sens en lien avec la perte et le soutien social.

Ainsi, si, dans votre entourage, vous connaissez une personne qui a perdu un proche dans la dernière année, vous pouvez évaluer la façon dont cette perte a été vécue et soulignée. Si vous percevez que cette personne a besoin de donner du sens à cette perte, vous pouvez l’inviter à ritualiser celle-ci.


Les rituels peuvent prendre différentes formes et les possibilités sont nombreuses : l’important est qu’ils soient significatifs et symboliquement reliés aux valeurs du défunt et des endeuillés. À ce titre, si l’on considère que plus de la moitié des répondants (54 %) prévoient très certainement ou sans doute réaliser des rites une fois les mesures sanitaires levées, l’arrivée de l’été et des assouplissements pourrait permettre aux personnes endeuillées de ritualiser le décès d’un proche de façon constructive.


Il se peut également que la personne n’ait pas envie de réaliser des rituels ou même d’en parler et cela est tout à fait légitime. Dès lors, le simple fait de manifester votre présence et votre soutien peut être aidant. Comme nous l’indiquions dans un article précédent, les étapes du deuil de Kübler-Ross sont un mythe : il n’est pas nécessaire, normal ou encore naturel de traverser le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation pour bien « faire » son deuil. Les études empiriques montrent plutôt qu’il existe autant de façons de faire son deuil qu’il existe des personnes qui font leur deuil. L’important est donc d’être à l’écoute de la personne endeuillée, de ce qu’elle souhaite et exprime comme besoin.


Par ailleurs, il peut également être utile de rappeler à la personne qu’elle n’est pas seule et qu’il existe différentes ressources et divers professionnels qui peuvent l’aider.


La saison estivale revêt un caractère particulier cette année avec notamment le retour des festivités que nous aimons tant et qui nous ont manquées. L’espoir et la légèreté sont au rendez-vous et nous donnent le goût de recommencer à rêver à une « vie normale ». C’est un moment important pour prendre des nouvelles et être à l’écoute de ce que ressentent notre famille, nos amis, nos collègues, nos voisins et nos proches qui ont perdu un être cher.


Collectivement aussi, il sera nécessaire de réfléchir à une façon de souligner que nous avons réussi à traverser cette période sans précédent grâce à la créativité, aux liens qui nous unissent les uns aux autres et que cette solidarité est plus forte que le virus qui nous a séparés.


La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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