« On a oubliés les endeuillés »

16 septembre 2022 | Général

Le Soleil, 19 juillet 2021


CHRONIQUE / Le 2 janvier, Denis Gosselin fêtait ses 70 ans, en espérant comme tout le monde que 2021 soit une plus belle année que 2020. Deux jours plus tard, la tonne de briques : on lui apprend qu’il a un cancer avec métastases.


Le 27, il est décédé.


Nous étions en pleine deuxième vague, lui et son amoureuse, Denise Dulac, n’ont pas trop eu le choix de parler des funérailles. «Son état s’est dégradé de façon fulgurante. Nous avons abordé le sujet brièvement, il m’a dit : “mais, qu’est-ce que tu vas faire avec ça? Vas-tu faire un tirage pour savoir qui va y assister?”» Ça, ce sont les normes de la santé publique qui autorisaient 25 personnes pour les funérailles.


Ils ont convenu, ensemble, de repousser ça à un moment où on pourrait être plus à se réunir.


Denise a arrêté son choix sur le 28 août. «J’ai choisi cette date-là après que le premier ministre, le ministre de la Santé et Horacio Aruda nous ont dit que nous aurions sûrement une rentrée scolaire normale pour l’automne. Je me suis alors dit que si la rentrée scolaire était normale, peut-être qu’il y aurait un peu de «lousse» pour se rassembler après la cérémonie funéraire.»


À un mois et demi de la date choisie, Denise n’est pas beaucoup plus avancée. À part pour les funérailles, auxquelles 250 personnes peuvent assister à condition de rester assises tout le long, le nombre d’invités reste limité. Pour les condoléances pendant l’exposition du corps, 50 personnes peuvent être présentes en même temps et, pour une réception après, il semble que la limite soit de 25 à l’intérieur et de 50 à l’extérieur.


En fait, sur le site du gouvernement, ce sont les normes édictées pour les cérémonies suivant un mariage, on ne parle pas de celles après les funérailles.


Sinon, c’est maximum 10, comme dans nos maisons.


«Denis était un homme qui aimait la vie, il aimait les gens, il parlait à tout le monde. Il s’est beaucoup impliqué socialement. Juste dans sa famille, ils sont au moins une quarantaine. Ce n’est pas une soirée dansante à portes ouvertes qu’on veut faire, on a besoin de se réunir pour se raconter des choses de Denis, pour boucler la boucle.»


Elle pense à tous ceux qui n’ont pu le faire depuis le début de la pandémie.


Elle a l’impression qu’on a oublié les endeuillés. Elle aimerait bien que le gouvernement lâche du lest comme il a fait pour les finissants du secondaire qui, ces jours-ci, ont le droit de se réunir à 250 sous un chapiteau. «Ce qu’on a convenu avec la santé publique, c’est qu’on fait un spécial, a annoncé François Legault le mois dernier. Les jeunes vont pouvoir danser ensemble et être à moins d’un mètre.»


Un gros party, donc.


Pour justifier ce «spécial», Horacio Arruda a confié avoir «entendu le cri du cœur de plusieurs parents» et cédé à la «pression populaire» plus que politique. Il a même dit que «s’il y en a qui voulaient louer des salles, ça va être possible».


On a dit, à raison, que les jeunes avaient fait beaucoup de sacrifices. «Toutes les générations ont fait des sacrifices. On se rappelle au début de la pandémie, tous les sacrifices que les aînés ont dû faire, ils ne pouvaient pas aller nulle part. […] Et puis, notre génération, on était content de se faire vacciner, on s’est dépêché à le faire.»


Quelques jours avant d’annoncer la tenue des bals de finissants à partir du 8 juillet, François Legault avait dit chercher un compromis. «Je trouve ça triste, surtout après l’année qu’ils ont vécue, qu’il n’y ait pas de bal.». Il se rappelle le sien, un moment marquant. «On a eu du fun, ç’a marqué ma vie.»


La mort, ça marque aussi la vie. «Évidemment, je conviens que la fin du secondaire marque une étape importante dans la vie, mais le décès d’un être aimé est une étape importante aussi. C’est un rituel qui est important, nécessaire. Pour moi, c’est presque plus important que le mariage.»


En entrevue avec mon collègue Normand Provencher en janvier, Martine Roberge, professeur titulaire à la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Laval et directrice des programmes d’ethnologie, note que les funérailles sont «le rite de passage le plus important et celui qui resté le plus stable en raison de sa fonction sociale et individuelle».


Sûrement autant qu’un match de finale de la coupe Stanley de la Sainte-Flanelle.


Pour Denise et d’autres endeuillés, les images de partisans en liesse, «tassés comme des sardines», leur ont laissé un arrière-goût amer. «Je sais que le premier ministre est un grand partisan du Canadien, mais je me demande s’il aurait eu, lui aussi, besoin de chaleur humaine si un être très proche était décédé. Le nombre de personnes pour les funérailles a augmenté, à la condition qu’elles soient assises et distanciées, mais ça ne s’applique pas pour un match de hockey.»


Ça écœure, comme on dit.


«Ça fait sept mois que j’attends. Je veux seulement pouvoir offrir les funérailles que mérite mon chum. La distanciation à un mètre, le port du masque, les cellules familiales, tout ça peut être respecté. Il me semble qu’un rassemblement familial après des funérailles est, à mes yeux, aussi important qu’un bal de finissants et qu’un match de hockey.»


Me semble aussi.

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